06/2022
Acheteurs publics : bien choisir ses indices de revision
Nous allons vous aider à percer les secrets intimes des indices de révision !
27/06/2022
Le chef d’entreprise, avant de soumissionner à un marché public, construit une offre technique et économique solide. Pour cela, il détermine ses charges futures et l’ensemble des moyens nécessaires à sa réalisation en fonction d’un contexte économique imaginé stable. Le soin apporté à cette étude de dimensionnement assure -en principe- une rentabilité constante au fil de l’exécution du marché.
L’acheteur public a de son côté opportunément prévu un mécanisme amortisseur et protecteur, avec une formule de révision des prix« standard ».
Grâce à ce dispositif les prix du marché doivent évoluer à la hausse comme à la baisse tout au long de son exécution, pour garantir la marge initiale.
C’est sans compter sur un « coup de tonnerre dans ceciel bleu » : Le bouleversement des prix des matières premières, l’envolée des prix de l’énergie, les tensions salariales rendent les prévisions totalement caduques.
Nous avons souhaité examiner comment les acheteurs publics font face à cette situation inédite. Comment l’acheteur doit il agir, dans ce contexte où il se doit d’examiner la situation au-delà des stipulations contractuelles ? Comment préserver les deniers publics sans provoquer des défaillances des entreprises ?
De leur côté, comment les entreprises peuvent-elles préserver l’équilibre économique de leur marché tout en honorant leurs engagements vis-à-vis de l’acheteur public ?
L’acheteur public comme l’entreprise ont un objectif commun : faire le meilleur choix dans la durée. Pour l’entreprise c’est générer de l’activité rentable, de la visibilité sur son activité, de la notoriété et l’assurance de la solvabilité de son client.
Pour l’acheteur c’est dépenser utilement l’argent public auprès d’un opérateur économique fiable, en garantissant l’exécution du marché dans la durée, conformément aux exigences initiales.
Or, par la contractualisation du marché, les prix et les règles de leur évolution deviennent intangibles. Les deux parties sont engagées durablement.
Le risque de défaillance d’une entreprise entrainant l’arrêt de l’exécution du service est inenvisageable pour l’acheteur public (particulièrement dans des marchés essentiels au déroulement du service public). L’acheteur est donc devant un réel conflit de loyauté : d’une part, défendre les intérêts de sa structure; d’autre part, prendre en considération les difficultés de son titulaire.
Pour aider les acheteurs à résoudre ce dilemme, La Directiondes Affaires Juridiques (DAJ) a produit plusieurs notes, visant à donner des consignes aux acheteurs de l’état, et des conseils aux collectivitésterritoriales (1). De son côté le 1er ministre a, dans une circulaire du 30 mars 2022, présenté ses recommandationspour faire face à cette situation (2).
La prise en compte du caractère imprévisible de la situation par une application mesurée des pénalités pour retards dus à des difficultés d’approvisionnement ou par le réaménagement des délais d’exécution, font partie des dispositifs. Le principal étant l’indemnisation des entreprises pour couvrir les envolées imprévisibles des prix,…
Ces solutions, chacun le sait, sont imparfaites pour les deux parties. Elles présentent cependant une réelle opportunité pour des marchés fortement impactés par la crise. Les entreprises concernées ont donc la possibilité de sortir de ce bourbier en saisissant l’acheteur sur ce motif d’imprévisibilité afin de négocier la meilleure solution pour les deux parties.
Les acheteurs publics sont comme les chefs d’entreprises : ils ont des comptes à rendre car ils engagent leur responsabilité et leur crédibilité à chaque marché. Ces enjeux partagés doivent conduire naturellement à trouver des solutions de rééquilibrage des prix.
Dans un contexte imprévu, Il est important de faire en sorte que les risques et pertes soient partagées au mieux.
Pour négocier, il faut des arguments. Plus ces derniers sont solides, plus ils seront convaincants. Il suffit pour le chef d’entreprise de décrire sa problématique de manière précise, en développant les conséquences pour l’entreprise. Une illustration des propos par des chiffres concrets, issus de sources vérifiables, sera la bienvenue.
Les prix et leur mode de révision étant figés, le titulaire du marché concerné peut solliciter une indemnité pour compenser la flambée des prix en se basant sur le fondement de la théorie de l’imprévision. La charge de la preuve lui incombe : l’imprévisibilité s’apprécie soit dans sa survenance, soit dans son ampleur.
Par ailleurs, l’indemnité accordée ne peut couvrir qu'une partie du déficit subi par l’entreprise. Les juges administratifs fixent généralement cette indemnité à 90% du préjudice démontré par l’entreprise.
Bien que la circulaire du 30 mars 2022 semble exclure cette possibilité, les acteurs sur le terrain pratiquent la conclusion d’avenants sur le fondement de l’article R.2194-5du code de la commande publique afin de modifier le périmètre des prestations ou d’adapter les conditions d’exécution du marché. En effet, sans cette solution le risque de défaut des entreprises est grand, et tout le monde y perdra ?
Ce sera le moment de discuter avec l’acheteur public de ce qu’est une bonne formule de révision de prix. Une bonne formule pour les deux parties bien entendu.
En tout état de cause, pour les marchés à venir, les entreprises devront examiner avec soin la composition des formules de révision incluses dans le marché qui, compte-tenu du contexte, prennent une importance fondamentale.
D’un autre côté, les acheteurs publics doivent reprendre en mains les critères de révision des prix afin de préserver au mieux les deniers publics tout en donnant encore envie de répondre aux entreprises.
Pour cela, il faut pouvoir identifier une bonne formule.
Nous sommes des experts qui vous aident :
Tout d’abord, une bonne formule doit être appréhendée àpartir de 6 postes dans une démarche de comptabilité analytique que l’on retrouve dans les entreprises de construction, démarche qui suit l'approche "KLEMS" des économistes de la productivité :
Ainsi, la formule idéale doit être constituée de l’ensemble de ces facteurs. Chaque item doit être pondéré proportionnellement à sa représentation dans le compte d’exploitation.
Prenons une hypothèse d’une entreprise de terrassement avec des comptes composés comme suit :
Alors la formule idéale devrait être représentée comme celle-ci.
Prix révisé = prix initial*[0.11+0.38*(S/So)+0.17*(G/Go)+0.13*(MAT/MATo)+0.21*(FSD/FSDo)]
Ainsi, chaque grand poste de charge de l’entreprise est pris en compte à l’aide d’un indice mensuel spécifique, auquel est appliqué un coefficient de pondération. Ce dernier doit être le plus proche possible de la réalité des charges.
Si ce n’est pas le cas alors les risques de décalages (voire de dévissage) entre l’évolution des prix du marché et celle des charges réelles est grand. L’entreprise court donc un danger financier.
Cette représentativité est bonne pour les deux parties :
L’acheteur public assure l’équilibre économique initial du marché et donc la durabilité de son marché en évitant le risque de défaillance. Il est assuré de payer le prix le plus juste (à la hausse comme à la baisse).
De son côté, l’entreprise bénéficie d’une évolution de prix plus conforme la réalité de ses charges.
Pour construire une formule de révision efficace, il faut trouver des indicateurs pertinents. Il existe un choix assez important d’organismes et d’indices. Les indices publiés par l’INSEE et/ou par le Moniteur sont méthodologiquement solides et statistiquement représentatifs. En outre, les fréquences de publications sont élevées.
Il s’agit de mesurer ici l’écart temporel entre la constatation dans les comptes de la variation d’une charge (gas-oil, salaire,…) et la publication de l’indice correspondant. Plus cet écart sera réduit, meilleur sera de l’effet de la formule, car la variation des prix de vente plus sera plus rapide, donc plus en phase avec la réalité économique.
Nous invitons les lecteurs à se pencher sur les opérateurs boursiers qui pratiquent le Trading Haute Fréquence (THF). Cela consiste à transmettre des ordres à très grande vitesse sur les marchés financiers dès que les algorithmes ont détecté une légère variation d’un indice. Sans être familier du sujet des opérations boursières, on comprend que si ces opérateurs dépensent des sommes importantes dans ce sens c’est que leurs gains en retour sont massifs (3). Ils vont même jusqu’à loger leurs serveurs et ordinateurs le plus près physiquement des bourses pour gagner quelques nanosecondes…(4)
La variation des cours des matériaux est aujourd’hui un point sensible de nos marchés et les évènements récents nous prouvent que lesprix peuvent évoluer fortement en quelques jours. Inversement, une fois la cause du stress économique passé, le cours peut revenir à la normale, voire en dessous.
On comprend alors aisément que la dynamique est valable pour les deux parties et que chacun pourra en bénéficier, à la hausse comme à la baisse. Ainsi, plus la fréquence de révision sera élevée plus les révisions de prix éviteront les risques de dérapages fragilisant la situation financière de l’entreprise. La sécurité contractuelle et la réalisation du contrat sont donc renforcées. De plus, cela évite à l’entreprise de prendre des « aléas » et donc de renchérir inutilement le montant du marché dans sa proposition.
Soucieux de préserver l’équilibre contractuel et de garantir la bonne exécution des marchés de travaux, les rédacteurs du C.C.A.G travaux 2021 ont prévu la mensualisation de l’indexation des prix. Ce dispositif s’applique pour tous les marchés postérieurs à l’entrée en vigueur du CCAG, ou au 1eoctobre 2021 (si l’acheteur a choisi de se référer au CCAG 2009entre le 1 avril et le 1 octobre).
L’acheteur public, même si cette pratique exige plus de travail, anticipe le risque de prise d’aléas supplémentaires par les entreprises qui aurait pour conséquence de renchérir artificiellement le montant du marché.
D’une manière plus générale, les acheteurs publics ont bien compris que désormais des révisions de prix plus fréquentes étaient recherchées par les chefs d’entreprises et bien souvent un critère de décision préalable de réponse à un marché public. « C’est pourquoi il convient d’éviter l’application systématique d’une échéance annuelle pour les clauses de révision des prix afin de maintenir l’équilibre financier du marché, sans porter préjudice à l’une ou l’autre des parties . » (Direction affaires juridiques- Ministère de l’Economie et des Finances – FT Les marchés publics confrontés à la flambée des prix et au risque de pénurie des matières premières18/02/2022).
De son côté le 1er inistre dans sa circulaire du 30 mars 2022 ajoute qu’ « en outre pour ne pas pénaliser les entreprises, les clauses de révision de prix ne contiendront ni clauses butoir, ni clause de sauvegarde. » (2).
Le dynamisme d’une formule se mesure par l’amplitude des écarts entre le point haut et le point bas sur une période courte. En d’autres termes, cet indicateur permet de s’assurer que la formule fait apparaitre clairement les hausses comme les baisses dans des proportions proches de celles de vos charges.
A l’opposé, une formule peu dynamique va montrer une évolution faible et relativement constante. Ainsi, s’opposent une formule dynamique (marge initiale mieux respectées mais avec des variations importantes) net une formule plus statique (marge qui se dégrade dans le temps avec des variations de prix très faibles).
Malgré toute l’attention portée à la rédaction de la clause de révision, sa mise en œuvre dans le temps comporte des risques de dérapages susceptibles de déstabiliser le marché. Personne n’est à l’abri d’une catastrophe économique bouleversant ces indices. C’est pourquoi il est prudent pour l’acheteur de prévoir un capage dont l’objectif est de protéger les parties en cas de variations trop importantes des indices. Bien entendu, ce capage devra contractuellement être assorti d’un dispositif de révision des conditions du marché.
Avant de soumissionner les entreprises qui veulent préserver leur marge doivent tester la formule de révision incluse dans le marché sur les années écoulées et la compareront à l’évolution de leurs charges.
Si le passé ne détermine pas l’avenir, au moins c’est un moyen pour tester les 3 critères (dynamique, réactivité et représentativité) sur une période suffisamment longue afin de se rassurer sur les performances attendues.
A nos yeux une bonne formule de révision de prix doit être Représentative (refléter fidèlement l’évolution réelle des charges composant le marché) Dynamique (intégrer les hausses comme les baisses) et Réactive (écart temporel réduit entre la réalité des charges et la publication de l’indice). Si ce n’est pas le cas alors les dirigeants avisés ajouteront des aléas dans le calcul de leur prix lors de la remise de l’offre.
Pour apprécier la qualité d’une formule, les entreprises doivent maîtriser leur comptabilité analytique en détail pour pouvoir tester la formule sur des temps suffisamment longs afin d’en analyser les effets cumulés. Elles doivent aussi mobiliser leur service facturation afin de suivre au plus près l’application des révisions de prix.
Si l’acheteur a autorisé les variantes, alors elles proposeront une formule alternative mieux construite afin d’améliorer leur compétitivité par la réduction de prise d’aléas inutiles.
Nous considérons en effet ces formules comme des opportunités économiques pour les entreprises (et les acheteurs publics) à condition qu’elles soient parfaitement maitrisées. A vos calculatrices et tableurs Excel !
Quant à la périodicité des révisions, nous avons montré combien leur fréquence rapprochée était vertueuse pour les 2 parties : avis manifestement partagé puisque l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) réduit les délais de publication de ses index BT-TP, pour le bâtiment et les travaux publics. La publication en effet se fera 45 jours après la fin du mois considéré (M+45)", contre M+80 actuellement.(Annonce du 29 mars 2022). Reste à généraliser la pratique de révision mensuelle des prix, déjà très ancrée dans le secteur du bâtiment et des travaux publics.
Pour les contrats en cours, il est à craindre que devant la situation inédite que nous rencontrons les dispositions juridiques actuelles ne suffisent pas à dénouer certaines situations complexes. Faudra-t-il, pour cela une intervention des pouvoirs publics, comme le demande dans un communiqué de presse du 17 Mars 2022, la Fédération Nationale des Travaux publics ? Notons qu’elle réclame aussi une généralisation des clauses de révisions à tous les marchés, qu’ils soient privés ou publics : les pratiques en vigueur dans le secteur public montrent l’exemple au secteur privé !
(1) Lien vers la note de la DAJ
(2) Lien vers la note de J Castex
(3) Lien vers article sur le trading haute fréquence
(4) Lien vers article sur l'usage du très haut débit dans les opérations boursieres
Grégory Pacaud a accumulé un savoir-faire et une technicité précieuse dans les réponses aux appels d’offres. En 2017, après avoir passé 20 ans chez Véolia Environnement, dont une dizaine d’années à la tête du bureau d’études Bretagne est parti monter sa première entreprise : FactStory dont l’activité était d’aider les PME à se développer proprement et rapidement en gagnant beaucoup de marchés publics.
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